Don King de la lutte ayant marqué l’arène avec de grands évènements sur une très longue durée, Gaston Mbengue se retire de plus en plus. Salif Mbengue a décidé de briser le silence et revenir sur l’intention qu’on lui prête d’organiser le combat Balla Gaye 2-Boy Niang 2, les cachets jugés assez élevés, entre autres sujets évoqués dans cette interview grand format avec celui qui, ce Mercredi 1er Mai 2024, a dit adieu à l’arène pour de bon. Merci Don King.
De loin mais en observateur averti, comment analysez-vous la lutte ?
Permettez-moi d’abord de saluer le monde de la lutte dont je fais partie. J’entends parler, dans l’arène, de choses qui me font trop mal.
Qu’est-ce qui vous fait si mal dans l’arène ?
Nous sommes des parents et nous sommes tous des croyants. Il faut savoir remettre les choses dans leur contexte. Il y a de ces lutteurs qui veulent égorger les gens. Quand j’entends parler de cachets de cent à cent cinquante millions, je me demande si les lutteurs respectent les promoteurs et les populations. Je répète qu’aucun combat ne vaut ces cachets-là. L’on m’a toujours taxé de méchant ou de jaloux des promoteurs quand je tenais un tel discours. Même s’il est possible que je revienne dans l’arène car c’est un natou, je ne le souhaite pas du tout. Quand j’y étais, j’avais la chance d’avoir un sponsor comme Orange qui me donnait 650.000 FCFA par an. Pourtant, je ne m’en sortais pas. Quand je quittais l’arène, j’avais une dette de sept cents millions dans les banques. J’avais même hypothéqué toutes mes maisons. J’ai failli les perdre. Ce n’est que cette année que je les ai reprises. J’ai vécu trois ans de stress dans le seul but de rendre service à mon pays. Aujourd’hui, pour rien au monde, je ne le referais. Distribuer deux cents millions ou plus à seulement deux lutteurs, compte non tenu des dépenses et tout, il faut que les lutteurs reviennent à la raison. Ils ne sont pas dix à se partager toute cette manne financière. Et chaque fois, on me sort un combat du siècle. En quatre ans, on entend parler de dix combats du siècle. Vous les journalistes, êtes les complices des lutteurs, avec certains managers et accompagnateurs de lutteurs. Les surenchères naissent du fait que plusieurs promoteurs sont annoncés sur un combat alors qu’il n’en est rien. Ou bien les soi-disant promoteurs qui y sont annoncés n’ont absolument rien.
Vous voulez dire que les journalistes sont manipulés ?
Si c’est le cas, ils ne doivent pas l’accepter pour sacrifier des fils d’autrui. Moi, j’ai investi des centaines de millions dans l’éducation de mes enfants. Aucun parmi eux n’a un salaire mensuel de plus de trois millions. Alors, vous voyez quelqu’un sur qui on n’a jamais rien investi, pour qui on n’a jamais acheté même une ardoise, un cahier ou un livre se lever un beau jour et demander des cachets de 100-150 millions.
Mais, Gaston, peut-on reprocher aux lutteurs de demander le cachet qu’ils veulent ?
N’eût été l’influence exercée sur les promoteurs, les lutteurs n’auraient jamais eu ces cachets-là. Quand je me suis permis de payer vingt millions à des lutteurs dans un Championnat de lutte avec frappe (Claf), c’est parce qu’un sponsor, Tigo, m’avait remis deux cent cinquante millions à leur distribuer. Quand j’ai réussi le pari cette première année, Orange a triplé la mise en me donnant 650 millions.
Pourtant, pour convaincre Tyson de revenir après trois ans de suspension, vous avez fait de la folie en cassant votre tirelire…
(Il nous interrompt). Je n’ose pas dire combien j’ai payé pour ce combat là (contre Yékini). Jusqu’à la fin de mes jours, je n’en parlerai. Je n’ose pas du tout. C’était trop, trop exagéré.
Mais vous l’avez pu grâce aux sponsors…
En effet. J’ai pourtant perdu dans ce combat. Quiconque te dit qu’il a gagné dans un combat ne dit pas la vérité. En dehors des 650 millions de Orange, j’avais des sponsors ici et là. De sorte que, au total, je rassemblais environ un milliard deux cents millions de francs de sponsoring. Mais, en huit journées, je dépensais un milliard six cents ou un milliard huit cents millions. Alors, en fin de saison, je me retrouvais devoir entre trois et quatre cents millions à la banque. C’est comme cela que j’ai vécu pendant quatre ans.
Je demande aux promoteurs de savoir raison garder. Qu’ils n’écoutent surtout pas ceux qui les poussent à faire des folies. Ils sont des fils, des neveux et tout pour moi. Je ne veux pas qu’ils soient victimes de ce qui m’est arrivé.
Comment expliquez-vous que, jusqu’en fin novembre, aucun combat de VIP ne soit ficelé ?
Il n’y en aura pas. Quiconque accède à la demande financière des lutteurs se suicide. On pourrait perdre entre cent et deux cents millions. Quand on ficèle ces combats, on ne travaille presque plus pendant six à sept mois. On n’a plus de temps à consacrer à sa famille. C’est incroyable. Le jour-J, tu ne peux même pas encaisser ce que tu as payé à l’un des lutteurs. Pourquoi les lutteurs ne feraient pas de coproduction avec les promoteurs ? Pourquoi ils n’organiseraient pas leur propre combat ? Ils n’auraient pas un cachet de vingt millions. Ils préfèrent égorger le promoteur et se mettre de côté. Des gens malhonnêtes sont derrière eux et leur demandent de ne pas accepter tel cachet alors qu’ils ne peuvent même pas leur donner un million. On a vu des lutteurs comme Mbaye Guèye, Double Less, Manga 2, Mor Fadam, Ambroise Sarr, Birahim Ndiaye et autres qui ont tout fait dans l’arène. Personne d’entre eux n’a jamais eu quinze ou vingt millions dans un combat.
Comment réagissez-vous quand on vous dit qu’on a payé 150 millions à Modou Lô et qu’Ama a rejeté 80 millions pour en demander 100 ?
Je ne vais pas citer de nom. C’est leur affaire. Si on propose un certain salaire à mon fils, sur qui j’ai beaucoup investi, c’est moi-même qui vais lui demander d’accepter. Et personne d’entre eux n’a un salaire mensuel de cinq millions. Dans quel monde sommes-nous ? Ils veulent tuer les promoteurs et leurs familles. A la limite, ce sont des actes de criminels. On ne devait même pas arriver à 50 millions de cachet. Je reconnais ma part de responsabilité dans la crise actuelle de l’arène. Mais je n’étais animé que par la seule volonté de bien faire. Qui peut aujourd’hui me faire revenir dans l’arène ? Peut-être quand un Pétrolier ou une très grosse boite sort plus que ce que sortait Orange, je peux revenir pour chercher à satisfaire les populations en ne visant que la promotion du sponsor.
Pensez-vous, comme il se susurre de plus en plus, que Free et Orange vont revenir dans l’arène ?
Je le souhaite. Ce serait une bonne chose. La promotion et le marketing, c’est moi. Si une boite décide de passer par moi pour de la promotion, je suis disposé à le faire, malgré moi et mon âge, car je n’en ai plus le temps.
Pourtant, vous êtes cité dans le combat Boy Niang 2-Balla Gaye 2. Qu’en est-il ?
Ils sont nombreux à me poser la question. Je comprends que c’est l’effet du bayré. C’est peut-être une manière de booster les autres promoteurs et les pousser à faire de la folie.
Pouvez-vous dire avec franchise que c’est de la pure invention ?
C’est de la pure invention. Je n’y suis pas. Je n’ai pas cet argent. Si je dois encore hypothéquer mes maisons pour organiser, que Dieu me tue une bonne fois. Chat échaudé craint l’eau froide, comme on dit.
On ne peut donc s’attendre à ce que vous reveniez cette saison ?
À moins que vous ayez ou que vous voyiez une grosse société ou un Pétrolier qui veut investir l’arène et qui veut passer par moi. Mais, je ne parle pas d’argent à blanchir ou de la sorte.
Vos collègues promoteurs, avec leur division, n’ont-ils pas contribué à la flambée des cachets ?
L’arène n’en vaut pas la peine. Ils perdraient leur argent et leurs relations. Pape Abdou Fall, Abdou Lakhat ou les autres sont de bonnes personnes. Seulement, il y a trop d’hypocrites dans l’arène. C’est un milieu malsain.
Si vous deviez engager Modou Lô ou Balla Gaye 2, seriez-vous prêt à dépasser la barre des 50 millions ?
Cela dépendrait de ce que proposerait le soi-disant sponsor. Pour sûr, je ne mettrais plus mon propre argent dans l’arène. Je ne l’ai pas d’ailleurs, modestie à part. Si un sponsor me donne un milliard pour organiser des combats, je le redistribue aux lutteurs, avec chacun le cachet qu’il mérite. Je ne vais donc pas donner de barème. Mais, les lutteurs, s’ils respectent les populations et les sponsors, doivent arrêter de demander des cachets de 100 à 150 millions. L’on m’a rapporté que des lutteurs ont accepté de réduire leur cachet un moment pour sauver des affiches. C’est la preuve que les promoteurs n’en peuvent plus.
Comment voyez-vous l’avenir de la lutte aujourd’hui ?
Pour envisager un avenir, il faut d’abord un présent. La lutte n’a même pas de présent pour espérer avoir un avenir. J’ai lu que plusieurs des lutteurs ont voyagé. C’est certainement de bonne guerre.
Si je devais revenir dans l’arène, on mettrait tout dans un contrat et je donnerais tout, l’avance sur cachet comme le reliquat, au CNG. Lequel réglementerait tout pour dire que si un lutteur passe outre le contrat, on me rend mon argent. Il faut que les lutteurs soient professionnels.
Justement, comment expliquez-vous vos absences intempestives lors des réunions de bureau du CNG après que vous avez été coopté par le ministre des Sports pour accompagner Dr Aliojne Sarr et son équipe ?
Vous savez, j’ai trop confiance au CNG. Tellement qu’avant même que je n’y sois, on me taxait de complicité avec eux. Ils sont trop sérieux. J’avais pris le soin de dire au ministre que je suis conscient qu’il veut que je travaille avec le CNG pour le bien de la discipline. Mais que j’avais mon boulot à moi et que je n’aurais pas le temps toujours. J’en avais aussi parlé à Alioune Sarr. Aussi, j’ai des retours d’informations qui prouvent que tout se passe bien.
Combien de fois avez-vous assisté aux réunions, une fois, deux… ?
Plusieurs fois. Je sais qu’ils sont en train de bien travailler. Au CNG, ils sont d’égale valeur. Ils ont des familles et des parents. Donc, n’importe qui ne doit pouvoir dire n’importe quoi sur leur dos. Il faut les respecter comme on se respecte.
Que répondez-vous alors à ceux qui disent que 24 ans c’est trop et qu’ils doivent partir ?
Ce dont je suis sûr, c’est qu’ils n’en veulent plus rien. Ils sont restés par patriotisme, non pour de l’argent. Ils sont presque tous des cadres et de grands messieurs. Ils ne comptent pas sur la lutte pour vivre. Il faut qu’on arrête de nous vouloir du mal les uns les autres. Même quand on conduit une belle voiture, les langues se délient. Arrêtons cela.
Comment trouvez-vous les combats sous forme de conflit de générations, plébiscités ici et là ?
Je trouve que c’est une très bonne chose. Ceux qui sont au sommet aujourd’hui, on leur a donné leur chance à un moment. Quand Tyson venait d’arriver, il n’avait encore rien fait. Pourtant il a commencé par un grand combat. Ensuite, les Mor Fadam, Manga 2 et Tapha Guèye lui ont donné sa chance.
Où est la fameuse canne ?
(Rires) La fameuse canne est chez moi.
Va-t-elle ressortir un jour ?
Retenez en tout cas qu’elle est à la maison, en train de veiller sur moi.
Il se dit que les lutteurs ne sont pas plus mystiques que Gaston. Pouvez-vous le confirmer ?
Dama togué sama yaram. J’ai fini de me sécuriser mystiquement. Je suis plus sécurisé que les lutteurs.
Avez-vous un message particulier pour le monde de la lutte ?
J’ai envie de dire que j’ai beau sécuriser mon corps, vous m’avez eu aujourd’hui. Tous vos collègues journalistes, de la presse écrite comme de la télé, ont essayé avant vous. Je m’excuse auprès d’eux d’ailleurs. J’avais décidé de ne pas parler maintenant. Mais je ne sais pas comment tu as réussi à me faire parler. Je suis prêt à aller répondre aux télés pour parler de la lutte. Mais je ne suis pas encore dans les dispositions d’organiser un combat. Je veux que ce soit clair. Je peux cependant donner mon avis sur le développement de la lutte. Je dois parler car, modestie à part, j’ai contribué à faire de beaucoup de lutteurs ce qu’ils sont devenus aujourd’hui. J’en rends grâce à Dieu.
Quels rapports avez-vous avec ces lutteurs aujourd’hui, après tout ce que vous avez fait pour eux ?
J’ai de bons rapports avec eux. Quand on se croise, on échange des civilités et nul n’a honte pour quoi que ce soit. On se regarde droit dans les yeux. Il y en a certes qui ne sont pas reconnaissants. Les Yékini, Balla Gaye 2, il y a vraiment des lutteurs très bien. Eumeu est mon fils, de même que Modou Lô. Ama Baldé, j’étais ami avec son père. Ces derniers temps, Tapha Tine m’a appelé au téléphone de chez lui, au village, pour me remercier et me dire que, grâce à moi, il a une maison qu’il n’aurait jamais eue sans moi. Il a prié pour moi et tout. C’est Dieu Qui m’a permis de réaliser tout ça.
Vous donnez rendez-vous au monde de la lutte quand ?
Peut-être avec des échanges et entretiens dans la presse, comme aujourd’hui (rires). En tout cas, pour le moment.
Par Abou NDOUR